Comment promouvoir et soutenir l’utilisation des connaissances scientifiques par les intervenants scolaires?

Voici un article de Nathalie Awad, l’une des membres de l’équipe de Recherche sur les Effets Non-Académiques de la Recherche et ses Déterminants (RENARD).

L’équipe RENARD est le premier regroupement transdisciplinaire québécois consacré à la recherche sur le transfert de connaissances (TC) dans le domaine des interventions sociales, notamment dans les secteurs éducatifs, socio-sanitaires et communautaires.

Cet article présente les principaux résultats d’une thèse de doctorat (Awad, 2015) qui avait pour but de documenter et de mettre en relation les différentes stratégies adoptées par des « agents intermédiaires » pour promouvoir l’utilisation des connaissances scientifiques par les intervenants en éducation. Le terme « agent intermédiaire » réfère aux personnes qui sont positionnées à l’interface entre les producteurs et les utilisateurs des connaissances scientifiques et qui encouragent et soutiennent les intervenants scolaires dans l’intégration des connaissances scientifiques dans leur pratique.

L’étude s’inscrivait dans le cadre du projet SIAA (Stratégie d’intervention Agir Autrement) du MELS qui visait à améliorer la réussite scolaire des élèves du secondaire provenant de milieux défavorisés. Des agents intermédiaires de différents niveaux du système éducatif (CIMD, DR et CS) ayant le mandat de transférer des connaissances scientifiques auprès des intervenants scolaires dans les écoles visées par le projet ont été sollicités pour participer à cette étude qualitative. Au total, seize entrevues semi-structurées ont été réalisées avec les personnes reconnues par leurs pairs pour la qualité de leur soutien offert aux intervenants scolaires quant à l’utilisation de la recherche dans leur pratique. Les techniques d’analyse des données sont basées sur la procédure élaborée par Strauss & Corbin (1998).

Les analyses ont permis de proposer un modèle d’intervention en transfert de connaissances composé de 12 groupes de stratégies d’influence, qui sont regroupés à l’intérieur de 6 composantes d’intervention, soit : relationnelle, cognitive, politique, facilitatrice, évaluative, de même que de soutien et de suivi continu. Ce qui suit est une brève présentation de ces composantes et de leurs objectifs.

Principaux résultats

La Figure 1 décrit le processus d’intervention opéré par les agents intermédiaires afin de promouvoir l’utilisation des connaissances scientifiques par les intervenants scolaires. Ce processus repose sur leur perspective et leur expérience pratique. La prémisse du modèle est qu’un intermédiaire est nécessaire afin de faire le pont entre les producteurs et les utilisateurs des connaissances dans le but d’augmenter la probabilité que les connaissances scientifiques soient réinvesties dans la pratique des intervenants scolaires, ou du moins, considérées.

« En général, les connaissances passent mieux quand il y a un passeur. Ça prend quelqu’un, un intermédiaire. […] Par exemple, si l’équipe d’évaluation a des résultats d’enquête, ils envoient à l’école un rapport en disant : “Vous nous appellerez si vous avez des questions de compréhension”, il n’y a pas de passeur, là. Alors, là, 9 fois sur 10, le document va rester sur une tablette. » – Un participant

 tableau 1

Figure 1. Le modèle d’intervention en transfert de connaissances

Le processus illustré dans la Figure 1 représente l’ensemble des stratégies regroupées en six composantes d’intervention. La composante relationnelle se définit comme l’établissement et le maintien d’une alliance de travail. Elle comporte deux groupes de stratégies: (a) favoriser la confiance et l’ouverture et, (b) choisir le bon moment pour intervenir. Les stratégies relationnelles ont pour objectif général de créer un climat positif et favorable à l’intervention en transfert de connaissances. Elles doivent être considérées tout au long du processus d’intervention.

La composante cognitive consiste à convaincre les intervenants scolaires de la pertinence des connaissances scientifiques et à offrir un sens aux utilisateurs potentiels. Trois groupes de stratégies sont inclus dans cette composante : (a) sensibiliser à la pertinence des connaissances scientifiques, (b) contextualiser les connaissances scientifiques selon les préoccupations et les besoins des intervenants scolaires, et (c) accéder et adapter les connaissances scientifiques à la lumière des préoccupations et du langage employé. Ces stratégies servent à encourager une perception positive des connaissances issues de la recherche et de ces applications concrètes.

La composante dénommée politique réfère aux stratégies adoptées par les intermédiaires qui se basent sur leur lecture du contexte et les actions qu’ils posent en conséquence. La composante politique comprend quatre groupes de stratégies : (a) développer des relations avec des acteurs clés, (b) exploiter les opportunités à intervenir, (c) éviter les sujets sensibles et, (d) développer une masse critique d’intervenants favorables à la recherche. Ces stratégies ont pour objectifs de contrer les barrières associées à la promotion et au réinvestissement de la recherche dans la pratique des utilisateurs potentiels et à élargir le bassin de personnes que la recherche peut atteindre.

Ces trois premières composantes s’influencent mutuellement pour créer plus d’ouverture en faveur de l’utilisation de la recherche chez les intervenants scolaires. En un sens, les composantes permettent de préparer le terrain et de favoriser l’application des connaissances. Ensuite, la quatrième composante, appelée facilitatrice, représente une étape essentielle du modèle, puisque les stratégies qui la composent servent à habiliter les intervenants scolaires dans leur appropriation du processus d’utilisation des connaissances scientifiques. Cette composante et les trois précédentes s’inter-influencent et des allers-retours sont possibles.

Comme son nom l’indique, la composante évaluative porte sur l’évaluation de l’utilisation des connaissances scientifiques dans les pratiques des intervenants scolaires. Les intermédiaires se servent des informations recueillies durant cette étape pour alimenter leurs prochaines interventions. Ainsi, ils peuvent revenir en arrière pour employer une stratégie ou une autre. Ultimement, l’intention demeure d’exercer une meilleure influence sur l’utilisation des connaissances scientifiques par les intervenants scolaires.

La dernière composante, soutien et suivi continu, lie l’ensemble processus d’intervention. Définie comme le cadre de travail entre les agents intermédiaires et les utilisateurs, elle sert à assurer que le processus se poursuive dans le temps, et ce, dans la direction de l’utilisation optimale des connaissances scientifiques. Dans cette perspective, les intermédiaires cherchent à réinvestir les connaissances issues de la recherche dans la pratique des utilisateurs, de consolider leurs apprentissages et de promouvoir leur développement professionnel. Le tableau 1 présente une vue d’ensemble des composantes ainsi que de leurs stratégies respectives.

Globalement, ce modèle explicite un processus d’intervention de la part des agents intermédiaire qui vise à influencer les intervenants scolaires complémentaires afin de produire un effet sur leur pratique. Ce processus est perçu comme dynamique et fluide puisque plusieurs stratégies sont employées de manière simultanée, selon la situation et le contexte. Cependant, il est évident que certaines stratégies (relationnelles ou facilitatrice) doivent être adoptées avant que d’autres types de stratégies (évaluative) puissent être employées de façon efficace. Les agents intermédiaires peuvent aussi faire un retour en arrière selon le contexte des utilisateurs et leur évaluation du niveau d’ouverture et de la volonté des utilisateurs à appliquer les connaissances scientifiques dans leur pratique.

Tableau 1. Vue d’ensemble des six composantes et leur groupe de stratégies

Composante Groupe de stratégies
Relationnelle 1) Favoriser la confiance et l’ouverture

2) Choisir le bon moment pour intervenir

Cognitive 1) Sensibiliser à la pertinence des connaissances scientifiques

2) Contextualiser les connaissances scientifiques selon les préoccupations et les besoins des intervenants scolaires

3) Accéder et adapter les connaissances scientifiques à la lumière des préoccupations et du langage employé

Politique 1) Développer des relations avec des acteurs clés

2) Exploiterles opportunités à intervenir

3) Éviter les sujets sensibles

4) Développer une masse critique de personnes favorables à la recherche

Facilitatrice 1) Habiliter les intervenants scolaires à l’utilisation des connaissances scientifiques
Évaluative 1) Mettre en œuvre une approche d’évaluation à l’utilisation des connaissances scientifiques
Soutien et suivi continu Comme une « méta-composante » qui englobe les composantes relationnelle, cognitive, politique, facilitatrice, et évaluative

Trois caractéristiques principales du modèle d’intervention

1. Plusieurs stratégies peuvent être employées simultanément. Sur le terrain, les agents intermédiaires adoptent différentes stratégies en même temps. Ils n’interviennent pas nécessairement de manière séquentielle et adoptent rarement une seule approche. Bien que ce modèle décrive le processus « idéal », en réalité, leur intervention est complexe, itérative et dynamique. En fait, les personnes interrogées restent sensibles au contexte et aux utilisateurs ciblés afin de déterminer quelles stratégies devraient être employées et quand. Qu’importe la ou les stratégies choisies, l’intention demeure d’exercer une influence sur les utilisateurs potentiels. Par exemple, pendant que les intermédiaires agissent comme guide pour que l’intervenant s’approprie le processus d’utilisation des connaissances (composante facilitatrice), l’agent ne peut pas négliger les indices qui suggèrent que l’alliance de travail n’est pas solide (composante relationnelle) ou que l’exercice ne semble pas avoir un sens ou être pertinent pour l’utilisateur (composante cognitive). Les composantes doivent donc être comprises comme étant fluides et perméables au contexte et à l’influence de l’utilisateur sur la relation.

2. Chaque composante est nécessaire, mais insuffisante sans le soutien et le suivi continu pour avoir un impact à long terme sur la pratique des intervenants scolaires. Comme différents morceaux d’un casse-tête, les six composantes couvrent chacune un angle du processus d’intervention des agents intermédiaires en transfert de connaissances. Bien qu’il soit capital de construire des relations de travail basées sur la confiance, de personnaliser la recherche selon le contexte des utilisateurs, d’adapter le langage de la recherche à l’utilisateur ou d’évaluer l’impact des différentes initiatives basées sur les connaissances scientifiques, ce n’est pas suffisant pour amener les intervenants scolaires à adopter la recherche et à s’approprier le processus d’utilisation des connaissances. D’ailleurs, les agents intermédiaires qui ont participé à cette étude soutiennent que la composante de soutien et de suivi continu est indispensable dans le processus afin de produire un impact à long terme chez les utilisateurs.

3. La théorie de l’intervention en transfert de connaissances est un modèle d’influence. C’est la combinaison et l’utilisation de tous les types de stratégies qui influence l’adoption de la recherche dans la pratique des intervenants scolaires. La section précédente a introduit les composantes et expliqué leurs objectifs spécifiques. Néanmoins, l’objectif général du modèle est d’influencer les intervenants scolaires dans la direction de l’utilisation des connaissances scientifiques. Ainsi, à travers l’emploi de diverses stratégies, les agents intermédiaires cherchent à encourager les utilisateurs à agir d’une façon qu’ils n’auraient pas considérés sans ces interventions, ou qui, sans soutien dans le temps, n’auraient pas complété jusqu’au bout.

Conclusion

Les écoles secondaires auraient intérêt à mettre en œuvre des mécanismes pour soutenir le travail des agents intermédiaires. Toutefois, on ne peut pas s’attendre à ce qu’ils agissent comme seuls agents de changements si on souhaite voir des transformations dans la perception de la recherche et de son adoption par les intervenants scolaires.

Références

1. Awad, N. C. (2015). Knowledge Transfer Intervention Theory: A Model Grounded in the Strategies used by Intermediate Agents in the Context of Education. Ph.D. Thesis. Université de Montréal, Montréal, Canada.

2. Strauss, A., & Corbin, J. (1998). Basics of qualitative research: Techniques and procedures for developing grounded theory (2nd Ed).Thousand Oaks, California: Sage.

Pour plus d’information sur ces résultats, n’hésitez pas à contacter :

Nathalie Awad, Ph. D., à l’adresse suivante : awad.nathalie@gmail.com